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Zappiste
(enthusiast)
5/25/03 10:27 AM
142.169.105.18
La prohibition finance le terrorisme [Post#: 2853 ] Reply to this post

Voici le Témoignage de M. Eugene Oscapella
Lors du comité du Sénat sur les drogues illicites


Notre dernier témoin cet après-midi est bien connu du comité. Eugene Oscapella est le directeur exécutif de la Fondation canadienne pour une politique sur les drogues. Il a déjà comparu deux fois au comité. Il a déjà comparu au cours de la précédente législature, il a comparu une deuxième fois le premier jour des audiences de l'actuelle législature. M. Oscapella nous parlera aujourd'hui du terrorisme et des drogues.

M. Eugene Oscapella, directeur exécutif, Fondation canadienne pour une politique sur les drogues: Je vous remercie de m'avoir permis de revenir à nouveau vous parler de cette question. Quand j'ai comparu ici le 16 octobre 2000, j'avais brièvement parlé de la façon dont la prohibition des stupéfiants contribuait au financement du terrorisme, mais je ne pense pas qu'à ce moment-là la question ait été aussi brûlante d'actualité qu'elle l'est aujourd'hui. Je vous suis donc très reconnaissant de me permettre de revenir comparaître.

Nous reconnaissons tous la nécessité de tarir la source de financement des groupes terroristes. Le magazine Economist rapportait que même les terroristes avaient besoin d'argent. Le mois dernier, le 19 septembre, la ministre de la Justice a dit que le terrorisme avait un point en commun avec le crime organisé, soit que c'est l'argent qui l'alimente. Par conséquent, nous devons nous en prendre à la capacité qu'ont les organisations terroristes de réunir des fonds.

Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité, j'aimerais vous parler aujourd'hui de la capacité qu'ont les organisations terroristes de réunir des fonds, en l'occurrence, grâce à la prohibition des drogues. Les médias rapportent abondamment comment le trafic des stupéfiants finance les talibans, les guérillas gauchistes et les paramilitaires de droite en Colombie.

J'ai un message très simple à vous livrer aujourd'hui. Le trafic des stupéfiants suffit à lui seul; c'est l'interdiction par le droit pénal qui fait que les drogues sont un marché aussi lucratif pour le crime organisé et les terroristes. C'est l'essentiel de mon propos. S'il y a une chose à retenir de mon exposé d'aujourd'hui, c'est celle-là que je souhaite vous voir retenir.

Nous savons tous que certains actes terroristes ne coûtent pas bien cher à exécuter. Selon des estimations, les attaques du 11 septembre ont pu coûter entre 100 000 $ et quelques millions de dollars. On n'a certainement pas eu besoin de sommes très considérables pour mener ces attaques aux États-Unis.

Cependant, bon nombre des formes de terrorisme les plus redoutées, celles où l'on fait appel à des armes biologiques, chimiques et nucléaires - les armes dites de destruction massive - sont beaucoup plus coûteuses à réaliser. Dans ces cas-là, les montants recueillis grâce au trafic des stupéfiants encouragé par la prohibition peuvent s'avérer très importants.

Les gouvernements ont essentiellement pris deux mesures pour contrer le financement du terrorisme. L'une consiste à supprimer les sources de financement et l'autre à réduire la capacité des terroristes à conserver leur argent et à le transférer ailleurs dans le monde. Par conséquent, nous avons une législation contre le blanchiment d'argent ainsi que des exigences de déclaration et des mesures de ce genre pour essayer de régler ces problèmes.

Je vais traiter de la première question, soit la suppression de toutes les sources de financement. Le document que j'ai rédigé à l'intention du comité explique précisément comment la prohibition des stupéfiants apporte de l'eau au moulin des terroristes. Je rappelle que le trafic des stupéfiants dans un système d'interdiction criminelle est devenu une grande - sinon la plus grande - source de financement de nombreux groupes de terroristes partout dans le monde.

Je parlerai d'abord de l'importance des drogues illégales pour les terroristes et des organisations criminelles. La GRC, dans ses rapports de renseignements criminels, a dit que la plupart des organisations criminelles au Canada tirent la majeure partie de leur financement du trafic des stupéfiants. On n'y dit pas qu'il s'agit du trafic des stupéfiants créé et nourri par la prohibition, mais nous savons certainement que le trafic de stupéfiants est une grande source de revenu pour le crime organisé au Canada.

En mai dernier, M. Alain Labrousse a comparu au comité, comme s'en souviennent les membres du comité. Il travaille à l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies à Paris. Il a expliqué les liens qui existent entre les stupéfiants et le terrorisme. M. Labrousse a fait savoir au comité que dans une trentaine de pays il y a maintenant des terroristes qui financent leurs activités avec le trafic des stupéfiants. Il a expliqué comment ce dernier était devenu une source particulièrement importante de financement depuis la fin de la guerre froide en raison de la baisse du niveau de terrorisme parrainé par les États.

Compte tenu de cette baisse, les terroristes ont dû trouver d'autres sources de financement. Quelle grande source ont-ils trouvée? Les stupéfiants.

J'ai cité à plus d'une reprise M. Labrousse dans mon mémoire. Je voudrais signaler la déclaration particulièrement saillante faite par l'agent principal chargé des drogues à Interpol en 1994: d'après lui, les stupéfiants sont devenus le moyen principal de financement du terrorisme.

M. John Thompson, de l'Institut McKenzie - l'usine à penser canadienne sur le crime organisé et le terrorisme - a laissé entendre que la mesure dans laquelle les groupes terroristes se financent par le trafic des stupéfiants varie considérablement. Cela me semble évident, puisque certains groupes terroristes ont plus facilement accès aux drogues que d'autres. D'après M. Thompson, de 25 à 30 p. 100 du financement des extrémistes islamiques pourrait provenir du trafic des stupéfiants et celui-ci constituerait probablement leur source de financement la plus importante.

Un représentant d'Interpol a comparu en décembre 2000 devant un comité judiciaire de la Chambre des représentants qui essayait de déterminer les liens qui existaient entre le crime organisé et le terrorisme, d'une part, et le commerce de la drogue, d'autre part. Ce témoin a expliqué que les groupes terroristes dépendaient de plus en plus des profits que leur rapportait le commerce de la drogue. Il a affirmé qu'une part importante de tout le trafic des stupéfiants en Asie centrale était reliée à l'activité terroriste.

Nous sommes en train de mieux cerner jusqu'à quel point le terrorisme dépend pour son financement du commerce de la drogue. C'est d'ailleurs ce qu'a confirmé un autre témoin du Service de recherche du Congrès au sujet de la Colombie; d'après lui, le FARC en Colombie, groupe de guérilleros de gauche, fait des profits annuels à hauteur de 400 à 600 millions de dollars américains libres d'impôt grâce au commerce de la drogue, soit en taxant le commerce de la cocaïne en Colombie ou en protégeant celui-ci.

Le problème ne concerne pas que les talibans, puisque vous voyez que de nombreux groupes d'insurgés et de terroristes de beaucoup de pays se financent grâce au commerce de la drogue.

Le représentant du Service de recherche du Congrès a dit dans son témoignage - ce qui est important - que les organisations financées par le trafic de la drogue peuvent développer les ressources, les racines et le réseautage nécessaires pour s'engager dans toute une série d'autres formes d'activité criminelle, notamment le trafic des armes illicites et la prolifération possible d'armes chimiques et nucléaires. J'en reviens à la question principale, à savoir comment les groupes terroristes en sont venus à dépendre de plus en plus du commerce de la drogue pour se financer.

Penchons-nous maintenant sur l'ampleur du commerce des drogues illicites. D'après les Nations Unies, il équivaut à 400 milliards de dollars américains. Je vous donne évidemment les chiffres en dollars américains, étant donné que la plus grande partie de la recherche sur ce sujet mentionne cette devise et non la devise canadienne. La revue Economist laisse entendre que ce chiffre est sans doute gonflé et que le commerce pourrait ne représenter que 150 milliards de dollars par année environ. Par comparaison, sachez que le budget de la défense des États-Unis correspond à un peu moins de 300 milliards de dollars par année. Par conséquent, le commerce mondial des drogues illicites équivaut probablement plus ou moins à la totalité du budget de la défense annuel des États-Unis.

Un des numéros récents de la revue Economist mentionne l'énormité des profits découlant de cette interdiction. D'après la revue, les représentants de l'ONU croient que quelque 2 800 tonnes d'opium - c'est-à-dire 280 tonnes d'héroïne environ - seraient entre les mains des talibans, d'al-Qaïda et d'autres barons de la drogue de l'Afghanistan et du Pakistan. D'après eux, le marché de gros représente quelque 1,4 milliard de dollars américains, alors que la valeur totale au détail va chercher entre 40 et 80 milliards de dollars. Bien sûr, ce n'est pas tout cet argent qui retournera dans les poches des talibans, d'al-Quaïda et d'autres groupes pakistanais, car il y aura des commissions à verser tout au long de la filière. Toutefois, vous pouvez constater à quel point c'est une source de financement extrêmement lucrative pour les organisations criminelles et terroristes.

Un ancien juge de la Cour supérieure de Colombie nous a rappelé que le revenu des barons de la drogue est plus élevé que le budget de la défense des États-Unis, ce qui pourrait être quelque peu exagéré. Toutefois, il fait aussi remarquer que cela permet aux barons de la drogue de subvertir les rouages de l'État, comme on l'a vu en Colombie. Je ne vois pas pourquoi cela ne pourrait pas survenir dans des sociétés encore plus robustes, car des sommes de cette ampleur rendent n'importe qui capable de corrompre l'appareil gouvernemental et d'influer sur lui.

Les chercheurs et observateurs du phénomène affirment également que l'alliance entre les organisations terroristes et les organisations criminelles s'intensifie. Les actes commis à New York et à Washington le 11 septembre étaient-ils criminels ou terroristes? Les organisations qui les ont parrainées étaient-elles criminelles? Ceux qui ont organisé il y a plusieurs années l'explosion à Oklahoma City formaient-ils une organisation criminelle ou une organisation terroriste? La distinction entre les deux devient de plus en plus floue, puisque les deux oeuvrent de plus en plus ensemble.

Le directeur du Centre de recherche sur le terrorisme aux États-Unis, Neal Pollard, parle d'une interaction croissante entre les organisations criminelles et les organisations terroristes. Ce qu'il dit est très inquiétant: d'après lui, si l'interaction entre les terroristes et les associations internationales de malfaiteurs est suffisamment réussie - particulièrement avec les trafiquants de narcotiques - les infrastructures de ces interactions pourraient être assez robustes pour fournir aux terroristes des occasions concrètes de faire proliférer les armes de destruction massive, notamment en introduisant aux États-Unis une arme de destruction massive. À son avis, les conséquences d'une telle infrastructure sont évidentes.

Ce qui inquiète le Canada, les États-Unis, le Royaume-Uni, l'Europe de l'Ouest et plusieurs autres pays, c'est que ces organisations ont désormais la puissance financière voulue pour s'engager dans des activités qui pourraient mener à l'utilisation d'armes de destruction massive.

Or, il y a une chose dont on oublie souvent de parler, et c'est justement la raison pour laquelle la criminalisation des drogues rend ce marché si lucratif. Je pense que les membres du comité savent exactement ce dont je veux parler. Toutefois, j'aimerais aborder à nouveau la question pour le bénéfice des Canadiens qui pourraient lire la transcription de ces délibérations ou nous regarder à la télévision.

Prenons l'exemple du pavot. Les chiffres que je vais utiliser me sont fournis par les Nations Unies. Il importe surtout de se rappeler que si elles n'étaient pas criminalisées, ces drogues auraient une valeur bien moindre que celle qu'elles ont aujourd'hui. Prenons l'exemple de l'opium, et je vous donne encore des chiffres de l'ONU: le prix qu'obtient l'agriculteur pour son opium est à peine de 3 à 7 cents le gramme. D'après l'ONU, ce même gramme d'opium se vend au détail 39 $ au Canada, ce qui représente de 550 à 1 300 fois le coût de production de cette drogue. Procentuellement parlant, cela représente de 55 000 à 130 000 p. 100 de plus que le coût de la production. Voilà ce que réussit à faire la criminalisation. L'interdiction d'une chose convoitée fait exploser son prix au détail. Et son coût de production reste minime dans l'ensemble de l'équation.

C'est nous qui avons créé cet énorme marché lucratif. Je peux aussi vous illustrer les cas de l'héroïne et de la cocaïne par des chiffres. D'après des chiffres indépendants sur la valeur de la cocaïne, le prix au détail d'un kilo de cocaïne produit en Colombie et vendu aux États-Unis est de 180 à 275 fois le coût de sa production. C'est la prohibition des drogues qui a engendré ce marché extrêmement lucratif.

Malheureusement, les médias, la police, les décideurs politiques et particulièrement certains politiciens américains décrivent toujours le problème comme étant celui du commerce de la drogue qui financerait le terrorisme. Personne ne réfute que les drogues aient un rôle à jouer dans le financement du terrorisme. Il se peut que les drogues aient un rôle plus ou moins grand à jouer dans la forme particulière de terrorisme qui semble issue de l'Afghanistan. Mais personne ne songerait à réfuter que les drogues jouent un rôle là-dedans.

Toutefois, ce qui arrive, c'est qu'on ferme complètement les yeux sur le rôle que joue la prohibition des drogues. Les États-Unis ne cessent d'affirmer qu'il faut déployer plus d'efforts en vue de réprimer le commerce des stupéfiants et qu'il faut renforcer leur criminalisation. Mais cela n'a pas donné de résultat jusqu'à maintenant et cela n'en donnera pas. C'est le fait qu'elles soient interdites qui rend le commerce si lucratif.

Or, aucun de ceux qui ont témoigné à des comités du Congrès ou qui ont parlé aux médias n'a fait le lien entre la rentabilité du commerce de la drogue et sa prohibition. C'est clair comme de l'eau de roche, pourtant. Il n'y a rien de compliqué là-dedans, comme vous le savez bien. La prohibition fait exploser le prix des drogues, mais personne ne songe à le mentionner. C'est cela qui est fondamentalement mauvais, puisque c'est ce phénomène qui nous fait réagir différemment au problème puisque nous fermons les yeux sur le rôle que joue la prohibition au criminel. On oublie de voir que l'une des causes du problème, c'est la prohibition.

Nous l'avons même vu à l'occasion d'un arrêt récent de la Cour suprême du Canada, et je renvoie à l'opinion dissidente de deux juges dans l'arrêt Pushpanathan, de 1998, qui concernait une affaire d'immigration. Les deux juges dissidents ont déclaré ceci:

La puissance financière et militaire de ces organisations menace la stabilité politique et économique de nombreux pays et, en fait, de la communauté internationale dans son ensemble.

Ils ont poursuivi, disant ceci:

Le trafic des drogues illicites menace désormais la paix et la sécurité à l'échelon national et international. Il porte atteinte à la souveraineté de certains États, au droit à l'autodétermination et à un gouvernement démocratique, à la stabilité économique, sociale et politique, ainsi qu'aux droits de la personne.

Tout cela est parfaitement exact. En effet, le trafic de la drogue représente un problème. Toutefois, les deux juges dissidents n'évoquent nulle part dans cet arrêt le fait que la prohibition a rendu ce trafic tellement lucratif. Nulle part ne semblent-ils admettre que c'est la prohibition des drogues qui est l'élément sous-jacent des bénéfices, du pouvoir, de la violence, de la corruption et du terrorisme qu'on peut associer au commerce de la drogue.

Nous devons reconnaître que les bénéfices que les terroristes tirent de l'opium, de l'héroïne et des autres drogues illicites sont essentiellement la conséquence de leur interdiction par le droit pénal. Comme l'a déclaré un de mes collègues, les talibans ne vendent pas des aliments pour bébés. Ils ne vendent pas des aliments pour bébés parce que cela n'est pas lucratif. Ils vendent de la drogue parce que c'est un commerce lucratif. La prohibition lubrifie les rouages du terrorisme, tout comme elle lubrifie ceux du crime organisé.

La criminalisation des drogues a d'autres effets encore sur le terrorisme. Ainsi, ces politiques étrangères qui appliquent la prohibition peuvent avoir des conséquences terribles pour certains pays. La Colombie est sans doute le meilleur exemple. Dans de vastes régions de ce pays, on utilise des défoliants. Les programmes d'éradication des cultures provoquent de véritables catastrophes environnementales. À cause du commerce de la drogue, nous enrichissons également les factions combattantes, les mouvements paramilitaires et la guérilla d'extrême gauche. Par contre, nous défolions toujours de vastes régions colombiennes, ce qui a des conséquences écologiques considérables et des effets très néfastes pour la santé.

Nous tolérons aussi, je pense, les violations atroces des droits de la personne commises par certains organismes pour la seule raison que ceux-ci semblent être favorables à l'élimination du commerce de la drogue. Nous sommes prêts à accepter leurs actes sans trop les critiquer, tout simplement parce qu'ils se sont ralliés à la prohibition.

Cela fait déjà plusieurs années que nous voyons en Colombie les politiciens et les décideurs politiques déplorer les effets de la prohibition pour leur pays. Elle cause énormément de tort à la Colombie et à bien d'autres pays dans le monde entier.

Ces gens veulent que nous abandonnions la prohibition. Au cas contraire, si nous continuons à leur imposer de force ces politiques d'interdiction, nous allons continuer à créer l'hostilité. Ils peuvent ainsi continuer à commettre des violations des droits de la personne. Cela crée une énorme hostilité au sein même du pays. Parfois, ces gens-là passent à l'attaque. Nos politiques risquent en fait de créer une certaine hostilité à l'encontre des pays qui imposent des politiques comme celles-là.

Nous mobilisons également d'énormes ressources à commettre un mal très réel alors qu'elles pourraient servir à faire le bien. Depuis quelques semaines, vous avez probablement lu que le gouvernement américain avait commencé à affecter à la lutte contre le terrorisme les ressources humaines de son service de répression des drogues. Voilà exactement de quoi je voulais parler. Ils ont axé leurs efforts sur la guerre contre la drogue et peut-être n'ont-ils pas affecté les ressources dont ils avaient besoin à la lutte contre le terrorisme. Cela ne signifie pas pour autant que s'ils avaient affecté ces ressources à la lutte contre le terrorisme, les événements du 11 septembre ne se seraient pas produits. Cela, personne ne peut l'affirmer. En revanche, nombreux sont ceux qui soutiennent que nous gaspillons nos ressources.

Il y a cinq ans, le professeur Arnold Trebach, l'un des fondateurs de l'American Drug Policy Foundation, prenant la parole à l'Université hébraïque de Jérusalem, a déclaré ceci:


Nous serions tous infiniment plus en sécurité si les efforts courageux des agents de répression de la drogue des États-Unis, d'Israël et des autres pays ciblaient plutôt les terroristes qui veulent faire exploser des avions de ligne et des gratte-ciel plutôt que les trafiquants de drogue qui tentent de vendre de la cocaïne et de la marijuana aux passagers de ces avions et aux occupants de ces bureaux.
Voilà des propos qui, il y a cinq ans, étaient assez prophétiques.
Je soutiens pour ma part qu'il faut mettre fin à la prohibition. Je pense que cela semble assez évident. Le comité a déjà entendu des témoins, et il en entendra d'autres, pour qui: «Il n'est pas nécessaire de supprimer la prohibition. Nous pouvons faire autre chose pour diminuer les ravages causés par la drogue en attaquant plutôt l'élément financier. Nous pouvons renforcer nos lois contre le blanchiment de l'argent de la drogue.» Par contre, cela n'a rien donné jusqu'à présent, et je n'ai encore aucune raison véritable de croire que les lois de ce genre puissent avoir un impact quelque peu significatif sur les mouvements d'argent entre le monde de la drogue et les organisations criminelles et terroristes. Nous avons tous beaucoup appris au sujet du système de transfert de fonds qu'on appelle «hawala», et qui échappe totalement à toutes les lois destinées à contrer le blanchiment.

Les mesures classiques que nous avons choisies pour combattre la drogue ont été à mon avis un échec colossal. Prenons la théorie de la réduction de l'offre par un renforcement des opérations policières. Les États-Unis, qui sont le pays le plus puissant au monde, espèrent, à en croire l'agence Associated Press, intercepter en 2002 18 p. 100 des drogues illicites à destination du territoire américain. Cela représente moins de 20 p. 100. L'objectif des États-Unis est donc d'intercepter 20 p. 100 de la drogue qui arrive à ses frontières. À l'heure actuelle, ils n'en interceptent qu'environ 10 p. 100, toujours selon l'agence Associated Press.

Le 1er octobre, un représentant de l'Agence canadienne des douanes et du revenu, interrogé à ce sujet par M. White, a déclaré qu'au Canada, les forces de l'ordre ne parvenaient à intercepter qu'environ 10 p. 100 des 7 à 10 milliards de dollars canadiens de drogues illicites qui se retrouvent chaque année au Canada.

Alors que le pays le plus puissant au monde ne parvient à intercepter qu'entre 10 et 20 p. 100 de toute la drogue qui arrive sur son territoire, notre pays affiche un taux d'interception de 10 p. 100. Voilà qui n'entrave guère le financement des organisations terroristes par le trafic de la drogue. Ce que nous appelons donc la réduction de l'offre ne donne rien.

Les cultures de remplacement ne donnent rien non plus. Certes, elles permettent peut-être temporairement aux agriculteurs de cultiver autre chose, mais à long terme, nous savons que ces récoltes de remplacement ne produisent pas de bons résultats. Elles provoquent énormément d'hostilité dans les populations locales qui doivent subir ces programmes. Il y a également des conséquences très graves pour l'environnement. Les mesures classiques dont on vous parlera ne peuvent rien faire pour réduire les bénéfices qui parviennent aux organisations criminelles et terroristes. De toute évidence, je l'ai déjà dit, les lois destinées à contrer le blanchiment ne sont pas opérantes.

L'autre problème est que tout cela détourne l'attention de la réalité des choses. Nous avons beau dire: «Nous allons multiplier les efforts au niveau des services policiers. Nous allons détruire davantage de récoltes. Nous allons travailler davantage au niveau de l'éducation. Nous allons exiger davantage de réductions. Nous allons faire davantage d'analyses.» Mais tout cela a simplement pour effet de détourner l'attention du grave problème auquel nous devons faire face, c'est-à-dire l'impact produit par la prohibition des drogues. Ces autres mesures mitigent de façon très marginale le problème, mais ne font rien pour régler le problème fondamental de la prohibition.

De toute évidence, il n'existe aucune solution totale au problème de la drogue. Mettre fin à la prohibition ne résoudra pas tous les problèmes associés à la drogue. Je ne me lancerai pas dans l'exposé que j'ai fait l'an dernier et je ne reviendrai pas sur ce que d'autres ont déjà affirmé devant vous au sujet des effets néfastes et dérisoires de la prohibition.

Ce que nous pouvons faire par contre, c'est réduire la rentabilité de la drogue pour les organisations terroristes du monde entier. Nous ne pouvons pas conserver la prohibition tout en espérant priver les terroristes et les organisations criminelles des bénéfices associés au commerce de la drogue. C'est aussi simple que cela. S'il n'y avait pas cette interdiction, le commerce de la drogue ne serait plus un facteur dans l'équation terroriste. À cause de la prohibition, le commerce de la drogue est désormais la principale source de financement du terrorisme, c'est du moins ce qu'affirment beaucoup de gens. Nous devons choisir la politique que nous voulons en matière de drogue: une politique qui alimente le terrorisme, qui finance et enrichit les terroristes, ou une politique qui ne le fait pas.

Supprimer la prohibition ne mettra pas fin au terrorisme. Le terrorisme a d'autres sources de financement. Cependant, la prohibition a donné aux terroristes une véritable vache à lait. C'est une source de revenus facile. Les groupes de terroristes en Colombie continueront à enlever des gens mais c'est une source de revenus loin d'être aussi lucrative que le commerce de la drogue. Ils continueront à braquer des banques; ils continueront à faire du trafic d'armes; ils continueront à extorquer de l'argent aux expatriés; ils continueront à cajoler les incrédules pour qu'ils donnent de l'argent à des organismes caritatifs qui sont en fait des couvertures pour les organismes terroristes. Ces activités ne cesseront pas, mais il est possible que certaines des mesures antiterroristes envisagées actuellement par les gouvernements aient une chance d'y mettre un certain terme. Néanmoins, il n'y a aucune chance qu'elles mettent un terme au financement du terrorisme.

Je ne pense pas pouvoir ajouter quoi que ce soit, monsieur le président. Je crois que j'ai vraiment fait le tour de la question. J'espère avoir bien défendu mes arguments. Je me ferai un plaisir de répondre aux questions des membres de votre comité.

Le sénateur Kenny: Je ne crois pas qu'il y ait grand monde autour de cette table qui conteste vos arguments, monsieur Oscapella. Pourriez-vous nous dire comment faire tarir cette source de profits?

M. Oscapella: Le problème c'est d'arriver à faire disparaître les bénéfices de la prohibition. Comme le magazine The Economist l'a dit, comme l'Institut Fraser l'a dit: il faut légaliser, réglementer, décourager.

Le sénateur Kenny: Tout?

M. Oscapella: Oui, tout. Comme vous le savez, les drogues étaient légales dans notre pays au début du XXe siècle. Malheureusement, suite à des années de propagande et de désinformation, nous avons réussi à faire prévaloir une énorme peur de ce qui arriverait si on mettait fin à la prohibition. Et c'est pourtant, en fin de compte, la seule solution. Aucun compromis n'est vraiment possible car les autres mesures mises en place pour traiter de la drogue dans un système de prohibition ne peuvent avoir une incidence suffisante pour en faire disparaître l'élément de profitabilité.

Le sénateur Kenny: Comment évaluez-vous la partie contrôle? Si on légalisait, il faudrait que Santé Canada ou qu'une administration analogue examine les produits et détermine leur innocuité pour les consommateurs. Selon toute vraisemblance, aucune des drogues actuellement sur le marché ne serait considérée sans danger. On se retrouve donc de nouveau dans la même situation car le produit est jugé licite, mais son introduction sur le marché est bloquée pour des raisons sanitaires.

M. Oscapella: Il y a l'exemple de l'alcool et de la prohibition aux États-Unis. Ils ont fini par abandonner.

Le sénateur Kenny: Je reconnais avec vous que l'alcool et le tabac sont en vente libre sur le marché. Nous reconnaissons que la prohibition n'est pas la bonne manière pour résoudre les problèmes que posent l'alcool et le tabac. Cela dit, quand on réintroduit un produit sur le marché licite, ne doit-il pas être soumis à un certain nombre d'examens? Si on devait introduire le tabac sur le marché canadien aujourd'hui il serait recalé au premier examen.

M. Oscapella: Peut-être pas. Par contre, voyez les maux associés à la prohibition. Il y aura quelques maux associés à la consommation de cette drogue par certains. Le tabac est probablement l'exemple le plus fameux parce que nous savons qu'il crée une très forte dépendance pour la majorité de ceux qui le consomment. Nous en avons toutes les preuves.

Comme pour beaucoup d'autres choses, il y a des méfaits potentiels associés à la consommation de certaines drogues. Nous le savons. Je n'essaie pas du tout de dire que la consommation de drogues est sans danger. Cependant, il y a beaucoup d'autres choses que nous autorisons dans la société et que nous avons choisi de réglementer plutôt que d'interdire.

Des aliments qui font grossir, par exemple. Nous savons que les mauvais régimes alimentaires sont un des principaux facteurs de décès dans notre pays. Les maladies cardiaques qui ont pour principal facteur un mauvais régime alimentaire sont une des principales causes de décès, mais cela ne nous incite pas à interdire certains produits alimentaires. Nous pourrions avertir le public. Nous pourrions essayer d'éduquer le public et nous pourrions essayer de comprendre pourquoi certaines gens mangent autant de cette mauvaise nourriture. C'est exactement la même chose que nous devons faire pour la drogue.

Le sénateur Kenny: Pourriez-vous caractériser l'ampleur de ce contrôle? À votre avis, des avertissements, une campagne d'éducation, ce genre de choses? Vous ne verriez pas un système de contrôle régulier plus rigoureux que ça?

M. Oscapella: Il y a de multiples possibilités entre la prohibition absolue et la légalisation totale, comme vous le savez bien. Les programmes de consommation d'héroïne sous contrôle pourraient constituer une option. La vaste majorité de l'héroïne consommée dans notre pays l'est probablement par un nombre relativement petit de personnes qui ont des problèmes de dépendance. On pourrait probablement éliminer une part importante de ce marché grâce à ces programmes de consommation d'héroïne sous contrôle thérapeutique.

De tels programmes ne correspondraient pas à une légalisation aussi généralisée que pour l'alcool. Je n'arrive pas du tout à comprendre pourquoi le cannabis est toujours considéré comme une substance illégale, mais c'est comme ça. Le problème pourrait être facilement réglé grâce à la mise en place d'un système de réglementation analogue à la Régie des alcools de l'Ontario. Nous pourrions avoir des règles et une réglementation de consommation pour les adultes encourageant les gens qui le vendent à ne le vendre qu'aux adultes et en toute connaissance de cause.

En fin de compte, pour toutes les drogues, il faut avant tout s'intéresser à ceux qui les consomment. Il nous faut un régime juridique. Il y a toute une panoplie de pressions allant de la dépénalisation à la légalisation en passant par la médicalisation, comme dans le cas de l'héroïne. Il faut trouver pourquoi certains veulent se droguer à la limite du dangereux.

Si nous changions nos lois, si nous libéralisions nos lois sur la consommation de drogue, il se pourrait qu'il y ait augmentation de la consommation d'héroïne. Cependant, cette consommation deviendrait probablement moins dangereuse. Le gouvernement dans un tel domaine devrait avoir pour rôle de contrôler la qualité. Le gouvernement devrait s'assurer que les dangers potentiels de la drogue sont réduits au maximum. Il y a des contrôles de qualité de la production d'alcool afin que le mauvais alcool n'entraîne pas la cécité ou le décès par empoisonnement comme c'était le cas au temps de la prohibition. Les gens continuent à mourir d'overdoses d'alcool, mais pas de consommation de mauvais alcools.

Le gouvernement devrait avoir pour rôle de décourager les formes dangereuses de consommation. C'est un rôle pédagogique. Il devrait se demander pourquoi certains consomment de la drogue au point de se détruire. Pourquoi la majorité d'entre nous, dans cette salle, peut consommer de l'alcool sans grand danger alors que nous savons que 5 à 10 p. 100 de la population canadienne ne le peut pas? Devrions-nous nous intéresser en priorité à ces 5 à 10 p. 100 et cesser de faire une fixation sur des consommateurs de drogue qui ne créent pas de grands dangers ni pour eux-mêmes ni pour la société?

Le sénateur Kenny: Quelles sont les conséquences internationales de la politique que vous proposez?

M. Oscapella: Si nous adoptons le principe du périmètre frontalier, nous ne pourrons pas faire grand-chose en toute indépendance des Américains. C'est une de mes grandes craintes.

Selon le droit international, nous pouvons nous retirer de tout traité de contrôle d'une drogue ou d'une autre. Il y a également des instruments internationaux des droits de l'homme qui nous interdisent de prendre des initiatives qui portent atteinte aux droits fondamentaux des populations. J'essaierais pour le moins de prétendre que ces instruments internationaux des droits de l'homme devraient de toute façon régler le sort de ces traités de contrôle de drogue.

Nous avons le moyen de nous retirer de tous ces traités. Sur le plan politique, je dois convenir que c'est une autre affaire. Cependant, chacun de ces traités de contrôle de la consommation de drogue dont nous sommes signataires contient une clause de désistement.

Le sénateur Kenny: Vous avez parlé de coûts. Quels seraient les coûts économiques de votre proposition?

M. Oscapella: Je ne peux pas les prédire. Je peux dire par contre que ce serait une source majeure de financement qui serait retirée aux terroristes. Je ne pense pas que cela entraînerait une augmentation importante de la consommation de drogue.

Le sénateur Kenny: Ce n'était pas ma question. Au cas où nous aurions une frontière commune avec les Américains et qu'ils continueraient à appliquer leur approche actuelle, on peut supposer un changement important au niveau de leurs politiques de contrôle de la frontière. Pensez-vous que cela pourrait avoir des coûts économiques importants pour les Canadiens?

M. Oscapella: Oui, c'est une préoccupation. Prenons l'exemple des Pays-Bas. On a conclu l'Accord de Schengen au sein de l'Union européenne. Les Pays-Bas tirent depuis longtemps derrière eux le reste de l'Europe. Il est difficile de penser que le Canada puisse tirer les États-Unis derrière lui, mais cela sera peut-être possible avec le temps. Il y a un nombre considérable de personnes aux États-Unis qui n'appuient pas l'approche utilisée actuellement en ce qui concerne les drogues dans ce pays, alors il y a peut-être de l'espoir.

La véritable question du point de vue pratique est en effet celle des conséquences possibles à notre frontière. Nous pourrions continuer d'imposer les peines draconiennes dont sont passibles actuellement ceux qui exportent des drogues. L'emprisonnement à vie est la peine prévue pour l'exportation de drogues. Ce sont les peines prévues dans la Loi réglementant certaines drogues et autres substances. Je ne m'oppose pas à ce qu'on maintienne ces peines, si c'est ce qui préoccupe les gens.

Cependant, il y a un aspect pratique dont il faut tenir compte, si nous créons un périmètre de défense de l'Amérique du Nord. Cela limiterait nos options en ce qui concerne l'élaboration d'une politique indépendante en matière de drogues, et en ce qui concerne également bien d'autres politiques.

Le sénateur Forrestall: Je comprends ce que vous dites. On entend cet argument depuis longtemps et il est encore difficile de trouver une solution. Vous avez dit que nous pourrions réduire considérablement les sommes d'argent provenant du commerce illicite des drogues et pouvant être consacrées à des activités terroristes, mais pourrions-nous le faire par nous-mêmes?

M. Oscapella: Non.

Le sénateur Forrestall: Le Canada ne deviendrait-il pas simplement une source d'approvisionnement de drogues bon marché qui pourraient ensuite être vendues dans des pays qui n'auraient pas de lois semblables?

M. Oscapella: Il faudrait une coopération internationale. Il est difficile d'agir seul, sauf pour ce qui est de maintenir des peines très sévères pour l'exportation de drogues. Dans la mesure où nous croyons que le droit pénal donne des résultats, nous maintiendrions ces dispositions.

Cependant, un marché réglementé à certains égards pourrait contribuer davantage à limiter le trafic de drogues qu'un marché qui ne l'est pas. En fin de compte, une coopération internationale est nécessaire. Si le Canada cessait d'interdire les drogues, cela ne paralyserait pas en soi le financement des organisations terroristes.

Nous devons voir ce que font les autres pays où l'on consomme le plus de drogues qui servent à financer actuellement des organisations terroristes. Nous devons par conséquent regarder du côté des États-Unis, ainsi que du côté de l'Europe où la vente d'héroïne ou d'opium rapporte 20 milliards de dollars par année à des organisations criminelles et terroristes.

Il faut un effort à l'échelle internationale. Ce n'est pas quelque chose que nous pouvons faire par nous-mêmes d'une manière efficace, mais c'est un autre argument que nous devons faire valoir. Nous avons créé ce gâchis de la prohibition internationale en coopérant entre pays, malheureusement. C'est donc grâce à la coopération internationale que nous devons nous en sortir. Cependant, je crois entrevoir bien des possibilités de changement en Europe.

Votre comité a entendu Peter Cohen en mai dernier. Il y a beaucoup de gens en Europe qui parlent maintenant d'annuler l'interdiction et de repenser toute la question. L'Europe peut maintenant servir de contrepoids important face aux États-Unis, où le gouvernement tient mordicus à sa mentalité prohibitionniste, en dépit du fait qu'il y a un mouvement très important aux États-Unis en faveur d'un changement aussi.

Je crois que nous verrons un changement. L'une des choses que nous essayons de faire est de sensibiliser davantage les gens en général, soit les gouvernements et les citoyens, aux mécanismes utilisés par les terroristes pour financer leurs activités grâce au commerce des drogues illicites. C'est un autre argument que les Européens examineront, je l'espère. C'est aussi un argument de plus que le gouvernement américain examinera également, je l'espère.

Les terroristes ne le veulent évidemment pas. Ils adorent la vache à lait que leur offre la prohibition. Cela devrait être révélateur pour nous. Le crime organisé adore la prohibition. Cela aussi devrait être révélateur pour nous. Si ces organisations contre lesquelles nous luttons adorent ce que la prohibition leur rapporte, nous devrions peut-être repenser notre position à ce sujet.

Le sénateur Forrestall: Voulez-vous dire qu'il y a une leçon à tirer de la fin de la prohibition de l'alcool?

M. Oscapella: Oui, très certainement. Malheureusement, la prohibition de l'alcool a profité énormément au crime organisé aux États-Unis et au Canada.

Le sénateur Forrestall: Je croyais que les choses avaient très bien été.

M. Oscapella: En effet. Quand on regarde les chiffres, l'estimation la plus faible indique que 150 milliards de dollars par année va aux organisations criminelles et terroristes, tandis que l'estimation la plus élevée est de l'ordre de 400 milliards de dollars par année. Sur une période d'un an, cela représente des billions de dollars détournés vers un marché illicite - et c'est quelque chose qui donne énormément de pouvoir aux organisations. En effet, il y a vraiment une leçon à tirer. Plus la prohibition durera, plus il y aura de dommages.

C'est énormément compliqué de décider de repenser notre position sur la prohibition. Cependant, nous devons le faire. J'espère que c'est l'une des orientations que votre comité choisira. J'espère que vous commencerez par vous demander comment nous pourrions mettre fin à la prohibition afin de réduire la grande myriade de torts associés actuellement à la prohibition.

Le sénateur Forrestall: Avez-vous effectué des recherches originales sur cette question, pour voir comment on pourrait en arriver à un objectif commun de mettre fin à la prohibition? Vous parlez dans des termes que je ne comprends pas. Je n'arrive pas à comprendre comment l'argent est obtenu et comment il est transféré.

Est-ce qu'il y a des organismes des Nations Unies, comme l'Organisation mondiale de la santé, ou des groupements internationaux de police, par exemple, qui ont examiné cette structure ou ce processus? Si l'on fait un tel travail, combien de pays faudrait-il pour qu'il y ait un impact significatif?

M. Oscapella: Premièrement, j'ignore si j'ai déjà fait des recherches originales, car toutes ces idées ont déjà été présentées. Quant à savoir ce qui constituerait une masse critique, comme le président l'a dit, je ne le sais vraiment pas. Je sais que c'est dans les pays riches que l'on consomme certainement le plus de drogues illicites. À l'heure actuelle, les États-Unis, le Canada et les pays d'Europe constituent les principaux marchés dans le monde pour les drogues illicites. Si l'Union européenne et l'Amérique du Nord décidaient d'agir, cela représenterait un pas important. Si nous prenions les pays de l'OCDE, par exemple, nous pourrions accomplir beaucoup.

Quant à savoir si des organisations internationales ont examiné cette question, j'en doute fort. Personne ne semble dire que la prohibition constitue un problème. Tout le monde dit que le commerce de la drogue constitue le problème. Personne n'a poussé l'analyse au-delà de la constatation que le commerce de la drogue constitue le problème. Personne n'ose admettre qu'en réalité, c'est la prohibition qui rend la vente de ces drogues si attrayante.

Si l'on n'est même pas allé jusque-là, je doute fort qu'on ait exploré des mécanismes pour mettre fin à la prohibition. La prohibition de l'alcool a pris fin abruptement. Il a fallu beaucoup de manoeuvres politiques pour qu'on prenne la décision, mais essentiellement, du jour au lendemain la loi a changé.

Le sénateur Forrestall: Vous présentez un excellent argument. Cependant, je serais bien plus disposé à appuyer cette idée si je pensais qu'il y avait suffisamment de pays avec nous pour que ça vaille la peine. Il serait futile de changer nos lois et d'essayer de changer nos coutumes au Canada par nous-mêmes.

M. Oscapella: Vous avez raison. Il y a cependant des mesures que nous pouvons prendre pour résoudre certains des problèmes associés à la prohibition au Canada. Si le Canada agit seul pour endiguer le flot de narcodollars qui va aux terroristes, cela ne fonctionnera pas. Il y a certainement plusieurs autres raisons tout à fait valables de mettre fin à la prohibition au Canada.

J'aimerais bien qu'on fasse plus de recherches sur cette question, mais il est extrêmement difficile d'obtenir des fonds à cette fin. Nous dépensons des centaines de millions de dollars par année pour perpétuer le modèle actuel. Il est très difficile d'obtenir de l'argent pour le type de recherches que nous aimerions effectuer.

J'ai fait des démarches auprès du ministère de la Justice pour savoir s'il financerait une étude plus approfondie sur les liens entre la prohibition et le financement du terrorisme. J'attends impatiemment une réponse.

Le sénateur Forrestall: C'est une orientation intéressante. C'est peut-être ce à quoi je voulais en venir. Plus vite on en parlera d'un point de vue universel, et pas seulement du point de vue étroit des événements au Canada, plus vite nous arriverons à bien comprendre la situation. Notre président veut comprendre ce que pensent les Canadiens des drogues douces et de certaines drogues qui ne contribuent pas vraiment à l'espionnage et au terrorisme de la façon dont vous parlez.

C'est encore très timide, toutefois. On pourra dire que nous ne faisons qu'effleurer le sujet, mais nous ne ferons que l'effleurer tant qu'on ne saura pas si d'autres pays font la même chose.

Je vois les choses bien autrement. Prenons deux milliards de personnes, l'équivalent de la population de la Chine, de l'Inde et de la Malaisie. Bientôt, il s'agira de 2 milliards de personnes qui vivent assez bien et qui consomment littéralement la plupart de ces drogues. Il faudra les mettre de notre côté.

M. Oscapella: Je suis d'accord avec vous. Il faut que notre pays fasse preuve de leadership intellectuel. Je comprends que nous n'avons pas la même puissance que d'autres pays plus grands. Mais il reste que le Canada est l'une des démocraties les plus respectées dans le monde - si l'on ne tient pas compte du livre récent de Jeffrey Simpson, parlant d'un doux dictateur - et nous pouvons vraiment faire preuve de leadership en parlant de ces questions. Nous n'avons peut-être pas le pouvoir de mettre en oeuvre certains de ces changements, mais nous avons certainement la possibilité de présenter nos idées. C'est ce que je souhaite. Le Canada pourrait ainsi avoir un rôle très utile dans ce débat.

Le président: Nous avons du pain sur la planche, si nous en venons à la conclusion qu'il faut rassembler une masse critique.

Monsieur Oscapella, je voudrais être du même avis que vous, mais j'ai un problème. Bien entendu, il serait facile de dire qu'en mettant fin à la prohibition, noua cesserons de financer le terrorisme et nous ferons d'une pierre deux coups. Je ne pense pas qu'il en aille ainsi.

La GRC nous a dit ce matin qu'on voit de plus en plus de liens entre ces deux mondes. Mais si on compare le prix payé ici, les profits réalisés là et le coût sur la rue, on voit que ce sont deux mondes à part. Les terroristes ne sont pas présents à chaque niveau, sur le marché noir.

M. Oscapella: C'est exact.

Le président: Il est donc faux de dire que tout l'argent du marché noir va au terrorisme.

M. Oscapella: Non, et je ne voudrais certainement pas créer ce malentendu.

Le président: Lorsque vous donnez les chiffres des Nations Unies sur l'ampleur du marché noir, soit de 150 milliards à 400 milliards de dollars, il s'agit bien sûr d'une grosse cagnotte, mais elle n'est pas toute entre les mains de terroristes.

M. Oscapella: Certainement pas. Le producteur en reçoit une partie, de même que le grossiste, en Afghanistan.

Le président: Nous parlons encore de petites sommes. Pour vous donner une idée, ce matin, la GRC nous a parlé des diverses «taxes» des talibans. Pour la récolte d'opium, c'était 12 p. 100, donc 12 p. 100 des quelques sous dont vous parliez ce matin, dans votre témoignage. Le laboratoire d'héroïne reçoit 70 $ US le kilo. Le permis de transport est à 2,50 $ le kilo. Le cumul de toutes ces taxes sur l'héroïne, en Afghanistan, atteint 75 millions de dollars US.

M. Oscapella: J'ai moi aussi vu ces chiffres.

Le président: Si l'on compare avec la somme de 1,2 milliard de dollars que représente le marché de l'héroïne sur la rue au Canada, il y a certainement quelqu'un qui a eu sa part de tarte, entre l'Afghanistan et le Canada.

M. Oscapella: Certainement. Les intermédiaires, qui font passer l'héroïne par les routes d'Asie centrale, reçoivent leur dû. À toutes les étapes, quelqu'un reçoit sa part. Vous avez tout à fait raison. Tout l'argent ne va pas aux talibans.

En Colombie, le financement est un peu plus direct. Ils reçoivent bien davantage. On dit que c'est près de 600 millions de dollars US par an. Pour les talibans, j'ai entendu des chiffres allant de 30 à 75 millions de dollars US par an, grâce au prélèvement de taxes sur ce trafic. Ce n'est qu'une petite fraction des centaines de milliards de dollars que représente le marché mondial.

Mais il y a aussi d'autres organisations, dans d'autres pays. Les Albanais du Kosovo s'adonnaient au trafic de drogues pour acheter des armes, par l'intermédiaire de la Suisse. Ils étaient plus en aval de ce commerce, mais utilisaient l'argent de la drogue. Les talibans ne font pas tout cet argent à eux seuls. Les intervenants dans chacun des pays prennent leur part. Ils garnissent ainsi leurs propres coffres. L'argent n'est pas destiné à une seule organisation, mais en aide quelques-unes dans divers pays.

Revenons au témoignage de M. Labrousse, le 28 mai, devant votre comité: il a présenté un document qu'il avait préparé pour un autre organisme. Je crois qu'il disait que des groupes terroristes de 29 pays profitaient du trafic de drogue.

Au bout du compte, tout l'argent reste dans le marché noir. Il n'est pas destiné à une seule organisation. Je ne voudrais certainement pas laisser l'impression que j'ai déclaré que les talibans font 75 ou 100 milliards de dollars par an - c'est faux. Mais tous les intervenants en profitent. En outre, quand on crée des routes pour passer de la drogue, on peut aussi s'en servir pour le trafic de clandestins ou le trafic d'armes.

Même si les talibans ne reçoivent pas tout l'argent, nous créons des réseaux qui facilitent leurs échanges.

Le président: Je pense que sur une chose, nous sommes tous d'accord, autour de cette table: la prohibition est probablement ce qui a déclenché la situation, qui a pour résultat de financer toutes ces organisations, quelle que soit l'étape où elles interviennent. Nous sommes d'accord avec vous là-dessus.

Toutefois, la somme colossale de 150 à 400 milliards de dollars américains par an doit être précisée. Je suis content que vous offriez au ministère de la Justice de vous pencher sur ce problème, parce qu'il nous faut des réponses. Depuis six semaines, évidemment, c'est devenu une préoccupation grave qui nous intéresse tous.

Le sénateur Forrestall: Où en est cette demande ou cette enquête proposée au ministère de la Justice? Comment la proposition lui a-t-elle été présentée?

M. Oscapella: J'ai présenté cette proposition il y a environ un mois, mais le ministère était trop occupé à autre chose. Je présume qu'on travaillait au projet de loi antiterroriste. J'espère qu'ils iront de l'avant. Je vais certainement continuer à insister. Je ne sais pas si c'est moi qu'on choisira au bout du compte pour faire ce travail, mais j'aimerais vraiment beaucoup le faire. C'est important. Il faut examiner ces questions.

Le sénateur Forrestall: Avons-nous au Canada la capacité nécessaire pour réaliser cette étude?

M. Oscapella: Je crois que oui. Si la GRC peut nous dire que le producteur reçoit une certaine somme, l'intermédiaire, telle autre, le vendeur, une autre somme, et que la drogue est vendue tel prix sur la rue, on peut essayer de trouver qui profite de ce trafic, le long de la chaîne. Nous voudrions savoir combien le crime organisé du Canada reçoit du trafic d'héroïne en provenance du Triangle d'or, en Asie du Sud-Est. Aussi, quelle part de la tarte reçoivent les Hell's Angels, et aussi, combien reçoivent les armées birmanes. Nous voudrions savoir combien reçoit chaque intervenant. S'il y a 8 ou 10 intervenants dans la chaîne de production et de distribution, combien reçoit chacun? Au bout du compte, cela fait beaucoup d'argent.

Le président: Pour ce qui est de la GRC, il faut reconnaître qu'elle a obtenu ces chiffres du Comité sur la criminalité de la Chambre des représentants. Ce n'est pas de source canadienne. Ces chiffres viennent des États-Unis. Au moins, ils sont fiables.

Le sénateur Forrestall: D'après votre silence, je suppose que les Nations Unies ne font rien de particulier pour résoudre ce problème. Si la drogue n'était plus interdite, les choses changeraient-elles? Ai-je raison de supposer que si personne ne fait ce genre de travail, c'est parce que cela fait peur?

M. Oscapella: Je ne peux pas vous répondre. Je crois qu'un grand nombre des organismes qui déterminent la politique des Nations Unies en matière de drogue sont intimement convaincus que la prohibition doit être maintenue. J'ai peut-être l'air désabusé, mais comme j'ai travaillé dans ce domaine pendant une quinzaine d'années, j'ai malheureusement perdu mes illusions. Il faut se demander qui bénéficie de cette prohibition. Ce n'est pas seulement le crime organisé et les groupes terroristes, mais également les bureaucraties énormes auxquelles la prohibition a donné naissance.

Malheureusement, je crois qu'un grand nombre des grandes bureaucraties qui ont la haute main sur la recherche et la formulation des politiques en matière de drogue au niveau international défendent leurs propres intérêts. Elles profitent de la prohibition. Cela peut sembler cynique, mais je ne pense pas que ce soit irréaliste.

Le sénateur Forrestall: C'est compréhensible.

M. Oscapella: Oui.

Le président: Avant de clore nos audiences d'aujourd'hui, je tiens à vous informer que lundi prochain, le 5 novembre 2001, nous nous rendrons à Vancouver pour entendre des experts de la région.

[Français]

Avant de clore les travaux de cette séance du comité, je tiens à rappeler à tous ceux et celles qui s'intéressent aux travaux du comité, qu'ils peuvent lire et s'informer sur le sujet des drogues illicites en rejoignant notre site Internet à l'adresse suivante: www.parl.gc.ca.

Vous y retrouverez les exposés de tous nos témoins, leur biographie, toute la documentation argumentaire qu'ils auront jugée nécessaire de nous remettre, ainsi que plus de 150 liens Internet relatifs aux drogues illicites. Vous pouvez aussi utiliser cette adresse pour nous transmettre vos courriels.

Au nom du Comité spécial du Sénat sur les drogues illicites, je désire vous remercier pour l'intérêt que vous portez à notre importante recherche.

La séance est levée.





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